Et voilà un peu le sort de ces alsaciens qui, depuis 1870 tombent
souvent entre deux chaises ! N'est ce pas Papa Herrmann ? Mais nous nous
dépêtrerons encore une fois de cette scabreuse situation
! De toutes façons, pour moi la question de revenir en France était
irrémédiablement perdue !
Lors de la seule permission de détente en avril 1944, je retrouvais
à Mulhouse mes parents complètement transformés
et totalement acquis à la politique de Hitler ! Toute la famille
était dans le désarroi le plus complet ; mes parents entrèrent
les deux dans « l’Opferring » (cercle des victimes),
la fameuse antichambre pour l'accession au parti nazi de la N.S.D.A.P.
créée spécialement par les S.A. en Alsace. Mon
Père rentra alors dans le N.S.K.K., ma mère dans le NS
Frauenbund (Association de femmes) mon frère Pierre 14 ans dans
la Hitlerjugend (jeunesse hitlérienne) et ma sœur Ady dans
la BDM (Bund deutsche Mädchen) (Association des jeunes filles allemandes)...
Toute ma famille nazifiée sans exception ! Vous parlez de ma
déconvenue...
Avant de rejoindre mon unité, fou, crispé, la rage au
ventre, je m'emparais de la « fanfare » – sorte de
long clairon – de mon frère Pierre pour le fracasser contre
le mur du grenier !
Il faut dire aussi, que pendant toute ma vie à la Wehrmacht,
je n'ai plus obtenu la moindre lettre de ma famille, même au front
russe, parce que j'étais fiancé à une petite institutrice
alsacienne « Agathe », portant des lunettes – signe
de dégénérescence pour mon père –
vraiment inouï ! Lors d'une matinée très chaude où
mon régiment a été assailli par les chars T34,
j'ai rompu mes relations avec Agathe et j'en ai averti mes parents,
dans l'intention de recevoir leur bénédiction suite à
un coup dur pouvant m'arriver... Oh ! inconscience démente...
Heureusement que notre voisin, M. Ohmeyer nommé Ortsgruppenleiter
(directeur local) de notre quartier, défendait bon gré,
mal gré, notre famille, mais nous traduisait son inquiétude
et nous exhortait à rentrer dans les groupements S.A. (Sozialistische
Armée).
Mon Père était alors dans le N.S.K.K. (Nazional Sozialistische
? Kraftfahrer Korps) en français : National Socialisme des Conducteurs
d' Autos et de Camions).
Mais imaginez les scènes d'attente désespérée
que nous devions vivre tous les soirs ! Papa parlait d'aller au Oberbeziksamt
de la Wehrmacht pour s'engager comme gardien de prisonniers ou comme
chef d'une gare en pays occupés de l'Est !
Mais il y avait ce crime de lèse majesté, d'avoir voulu
cacher son état d'officier allemand, et maman qui pleurait ;
une situation vraiment insoutenable...
Je sentais bien que le poids de notre malheur d'expulsion en Silésie
ne reposait en fait que sur mes propres épaules : maman me regardait
souvent bien longtemps et semblait me dire :
– Ne peux-tu rien faire ?
Mais elle se taisait. En flânant dans les rues de Mulhouse, je
pris connaissance sur des tracts et affiches sur les bâtiments
civils, que le Commandement des Armées cherchait de jeunes recrues
pour s'engager dans la Kriegsmarine (La marine allemande) comme élève
officier ! Bien vite, une folle idée germa dans ma tête
: allais-je tenter le coup, moi, officier aspirant français ?
Que non, tout ceci... Et si je jouais ma carte de roublard perdant sur
le coup, et y gagnant mon va-tout ?
– Je vais vous leurrer ! me dis-je
Deux jours plus tard, je prenais le train en direction de la mer Baltique,
à Stralsund, en face de l'île de Ruegen, où j'allais
passer mon examen d'admission dans la marine ! Une folle aventure à
tenter ! Pendant deux jours, je passais une série de tests, dans
lesquels je mis toute ma bonne volonté... pour ainsi dire à
les rater ! Tout d'abord, je jouai la carte la plus importante, celle
du daltonisme ; puis en santé, fils d'une mère morte de
tuberculose, faible en langue écrite allemande, une vraie cruche
en sport... Le sujet qu'on nous proposa en rédaction était
le suivant :
« Comment allez vous concilier le fait d'être un chef intransigeant,
et celui d'être en même temps le camarade de votre unité,
quand vous serez officier ? »
J'en ai pris largement sur mon compte, et me disant en moi-même
:
– S'ils engagent de futurs officiers tels que moi-même...
alors, adieu l'armée allemande !
Je n'avais pas eu tort, car quelques jours après mon retour à
Mulhouse, je recevais de Stralsund une gentille lettre dans laquelle
on m'exprima le regret de ne pas avoir pu m'embaucher, et d'autre part
leur souhait de rester un bon instituteur ! Bref, pour moi une victoire
qui me remplissait le cœur, surtout avec le fait de les avoirs
leurrés ! Mais bref, j'avais sauvé ma famille de l'expatriation
!
Mon aventure n'a pas eu beaucoup d'écho de la part des miens,
papa jouant un peu l'homme gêné, et « maman »,
comme d'habitude, assez impassible, si mes souvenirs sont exacts ; Toujours
est-il, que, loin de jouer le héros libérateur, j'étais
ravi d'avoir pu « niquer » ces schleus, que je haïssais
!
Entre-temps je fus appelé à suivre un stage de «
nazification » au Kreisschulamt de Pfortzheim, die Goldene Stadt,
avec mon camarade de promotion, qui lui aussi, était rentré
en Alsace, Henri Gruntz. Ce fut une période très agréable,
flânant dans les rues de la ville, fréquentant le théâtre
– je me souviens de la pièce « Glückliche Reise
» –, suivant d'un air totalement absent les discours, choisissant
tous les jours le restaurant où nous pouvions manger sans ticket,
nouant ça et là quelques aventures amoureuses...
Je fus même, sur ma demande, nommé pour une semaine comme
instituteur en la « Hermann GOERING » Schule dans une classe
comptant une vingtaine de jeunes filles de 13 - 14 ans, souvent bien
provocatrices... avec le jeune maître que j'étais !
Une seconde expédition eut lieu peu après pour un stage
de 15 jours à Gaienhofen am Bodensee, conduit par l'inspecteur
Finckbeiner de Mulhouse dont le thème était « Die
Deutsche Kultur ». Plein air, bord du lac, agréable lui
aussi ! Je me rappelle, notre ami, Biry Eugène, rentrant au foyer
après de bonnes libations. Très aviné, il entonna
sous les fenêtres du directeur la Marseillaise ! Mais Finckbeiner
préféra certainement passer sous silence cette provocation...
Nos repas débutaient là, toujours par le « Tischspruch
» traditionnel, tel :
– Wer mit uns tut Mittagessen, kann sich dann mit Max Schmehling
messen !
Ce dernier était champion du monde de boxe, en lourd, du monde...
Bref, somme toute, je passais vraiment de bons moments tout en continuant
mes ressentiments anti-allemands !
Le matin du 21 juillet 1941, une lettre du Ministère de l'Education
de Karlsruhe, signé du recteur Ebner, (Sympathique inspecteur
allemand) allait apporter un changement radical à ma situation,
et allait une fois de plus me séparer de mes parents !
Je fus donc muté à Hagnau am Bodensee, à un kilomètre
de la petite ville de Meersburg, un petit village calme, peuplé
de braves vignerons et de vaillants pêcheurs de Bodenseefelchen.
Je me régalais du « fera » du lac, un noble poisson,
présenté à la Mülleriner Art, avec un bon
verre de Ruhländer. Je trouvai là une atmosphère
calme.
Un dialecte apparenté à notre parler alsacien, une population
vraiment « bon enfant », totalement dénué
de toute politique nazie, heureuse de vivre dans leur microclimat si
doux ! Des fruits à profusion, non véreux, de belles grappes
du cru à l'automne. Les vins du terroir allant du léger
« Elbling » au « Burgunderwein », jusqu'au capiteux
Ruhländer ! De la viande et des saucisses à profusion grâce
à mon ami Hans Knoblauch, 17 ans, fils du boucher. Je fus l'enfant
choyé du couple Ehrlinspiel, propriétaire de l'hôtel
« zum Adler », et leurs deux filles, Tilly et Résy.
Bref, je fus décidément le coq en pâte du village,
décimé par le départ des hommes valides au front.
Je me présentai donc au maire du lieu, puis au Ortsgruppenleiter,
– hiérarchiquement au-dessus du maire à l'époque
hitlérienne – qui n'en portait vraiment que le nom, et
qui me dit :
– Bien, nous allons donc avoir un jeune maître qui pourra
éventuellement s'occuper un peu de la Hitlerjugend !
– Vous savez Monsieur qu'étant Alsacien, je n'ai aucune
idée de ce qu'est le Nationalisme allemand répondis-je.
A l'école, je trouvai le Directeur M. King et sa femme Babette,
un couple d'environ 50 ans. Je fus chargé de jeunes de six à
dix ans, très disciplinés. Mon seul point faible était
naturellement le maniement de la langue ! Mais ce handicap fut surmonté
au bout de deux à trois semaines. J'étais là, heureux
et libre de la pression nazie, jouant le soir aux cartes avec les habitués,
plus âgés bien sûr que moi. Je sortais de temps à
autre avec les pêcheurs sur le lac, à 500 mètres
de la rive suisse – j'aurais pu n'importe quand, brûler
la politesse à ces nazis – mais il y avait ma famille,
et aucun nazi dans le patelin. Je ne me déplaçais qu'à
bord des navires, quelquefois à Constance, mais surtout à
Lindau (Du Schöne), où je retrouvais une cousine alliée
à mon père, Didi, marié à Rhomberg, tenant
le Grand Hôtel, le « Lindauer Hof ».
Mon collègue King décéda après trois mois,
et j'assumais donc seul la direction de l'école. Après
l'inspection satisfaisante, du Recteur Ebner – que j'avais connu
à Mulhouse – je reçus la formation de deux intérimaires,
Gamb, tombé au front russe, et Karcher Emile, instituteur retraité
à Habsheim, et la jeune Tilde de Karlsruhe.
Effectivement, huit jours après, deux grands gaillards (Karcher
et Gamb) de la Lehrerbildungastalt de Karlsruhe, vinrent en stage chez
moi, moi qu'on nommait le « Französli » dans le village
; Et à ma grande stupéfaction les deux étaient
alsaciens... C'était l'entente parfaite, et mes deux stagiaires
n'en revenaient pas d'atmosphère de paix et de vie facile que
l'on pouvait vivre dans ce pays chanté par le poète Hans
Jakob, qui y avait été prêtre durant de nombreuses
années. La « bonne bouffe », les felchens du Bodensee,
le vin à souhait (L'Elbling et le Ruhlaender), les belles randonnées
en bateau vers Constance, Lindau et Bregenz, sans compter (et pour cause...)
les belles filles en quête de mâles... vraiment, la vie
était belle !
Je peux dire en toute franchise : Mon séjour à Hagnau,
où l'on ne m'appelait que le « Französle » était
une vraie idylle, une sorte de paradis dans ce monde en guerre ! Je
me rappelle encore le fils du boucher, Hans Knobloch mon voisin, qui
à la veille de mes congés, m'envoyait par la fenêtre
de gros saucissons et jambon pour mes parents. Le pauvre ! incorporé
dans la Wehrmacht en fin d'année, il tombait au champ d'honneur
en Russie, deux mois après ! Et ses braves parents... !
Ainsi se passaient mes journées. Promenades en bateau sur le
lac à Constance, Friedrichshafen, île de Meinau, Lindau
(oh du Schöne), Bregenz en Autriche. Un paradis dans cette Europe
en feu ! Ceci fut mon cas du 21 juillet 1941 au 8 janvier 1943, date
où je fus muté à l’école de Riedheim
(Markdorf), à 12 kilomètres de Hagnau. Cinq mois plus
tard, Conseil de Révision, à Überlingen, et le 10
juin 1943, incorporé dans le « Arbeitdienst », service
du travail à Eimeldingen près de Lörrach en Bade.
Incorporé le 25 octobre 1943 dans la Wehrmacht, opérations
de guerre en Pologne (Zakopane), en Roumanie (Kronstadt) et j'en passe.
Ce 8 janvier 1943 donc, je dus rejoindre le poste de Riedheim, à
dix kilomètres de là, près de Markdorf, à
mon profond regret, mais l'accueil fut à peu près pareil
et le séjour plus court, car après avoir passé
le conseil de révision à Überlingen, je dus faire
partie de l' « Arbeitsdienst » à Eimeldingen, près
de Lörrach en Bade !
Alors là, J'appris à connaître les vrais nazis et
leur parti pris contre les Alsaciens ! Quelle sale race que ces petits
officiers profiteurs tels les Oberfeldmeister jusqu'aux jeunes Dienstmänner.
Il fallait rester toujours sur ses gardes pour ne pas être enfermé
en prison...
Incorporé le 25 octobre 1943 dans la Wehrmacht, on m'embrigada
dans la 25eme Flackersatzabteilung en partance de Wismar, un port sur
la Baltique à coté de Lubeck, où je connus mon
collègue Edouard Mechler, instituteur à Fellering...
Somme toute, je n'eus pas à me plaindre de nos supérieurs,
entre autre Bouboule le Stabsfeldweebel, un juteux assez bon enfant,
un jeune lieutenant autrichien. Enfin, nous fûmes affectés
à la manipulation de la mitrailleuse deux centimètres
antiaérienne. Notre apprentissage fut dur. Nous avons souvent
rampé sur le sol de la caserne, balayés par un vent d'océan
qui nous arrivait en face de la Baltique.
Malheureusement, il n'en était pas de même chez moi, dans
ma famille à Mulhouse, d'où je revenais souvent déconcerté,
dépité même : Papa autrefois l'indésirable,
ma douce maman elle-même s'étaient pris au piège,
et arboraient un enthousiasme incompréhensible pour les victoires
de la Wehrmacht au front russe ! Mais quoi ? Avaient-ils oubliés
toutes les misères que leur faisait l'occupant ? Et moi, je ne
comprenais pas ! Mon père m'avait pourtant exhorté de
fréquenter les cours de Préparation Militaire Supérieure,
mon père vaillant adversaire de la section pro-allemande du U.P.R.
d'Alsace ; se retrouvait-il dans ces officiers de la Wehrmacht, qui,
de victoire en victoire envahissait la Russie, la Crimée !
Et ma mère, le violon sous le bras s'en allant apprendre les
mardis soirs, des chants patriotiques aux femmes du quartier formant
la « Deutsche Frauenschaft », sous les regards étonnés
des nombreux francophiles de la rue ? Et ma sœur que j'avais ramené
de la Dordogne, engagée dans la BDM (Bund Deutsche Mädel),
et mon frérot de douze ans portant baïonnette à sa
ceinture, maniant le fusil petit calibre, au sein de la Hitlerjugend.
Je m'en souviens... oui, de ce matin, découvrant le long clairon
(die Fanfare) du jeune, et la piétinant de rage, de désespoir,
pour essuyer ensuite un sermon du tonnerre de mon père... Non
! vivement le retour au Bodensee, que je rejoignis bien vite, alors
que mon père refusa de m'embrasser avant le départ ! Que
de scènes douloureuses entre les fils « ingrats »
et une famille complètement désorientée ! Ma cousine
même, que j'aimais en douce avait opté pour le prénom
de Gusti ! Honte-désespoir !
Mais les beaux jours en Bavière du sud touchaient à leur
fin. En septembre 1942, je fus assigné à comparaître
devant le conseil de révision à Überlingen, qui me
classa « Wehrtauglich » moi aussi ! Les camarades de mon
âge restés en Alsace avaient déjà été
incorporés de force dans la Wehrmacht.
Et ce fut la convocation dans le « Arbeitdienst » pour cinq
mois à Eimeldingen en pays badois, sous le fameux complexe rocheux
du « Isteiner Klotz » en bordure du Rhin ! Ce fut la pé-riode
la plus sombre de ma vie ! Livré à la merci d'un fanatique
nationaliste « Feldmeister » qui prenait un sadique plaisir
à rabaisser ces petits instituteurs français – nous
étions cinq – en nous faisant endurer les pires travaux
et peines humiliantes ! Et il s'en prenait surtout à moi sur
qui il avait découvert en fouillant mon portefeuille, la photo
de ma fiancée au dos de laquelle il avait lu des mots tendres
écrits en français ! Pensez donc !
Bref, partageant ma vie de camp entre les arrêts de rigueur et
les stages à l'infirmerie où j'aboutissais de temps à
autre après avoir avalé du dentifrice et fumé à
jeun dix cigarettes pour avoir un semblant de fièvre !
– C'est toi que je choisirai, pour la cérémonie
du serment au drapeau, et tu n'y couperas pas ! m'a-t-il vomi à
la figure !
Mais au « Fahneneid », j'étais bel et bien alité
à l'infirmerie ! Quel cauchemar journalier ! Et dire que ce même
officier venait néanmoins me trouver pour jouer une partie de
« skat », vu que seuls trois soldats du camp connaissaient
ce jeu... et il venait souvent !... quelle perfidie, quels jeux révoltants,
quelle bassesse !
Mais tout a une fin et en octobre je pus jouir d'un petit sursis de
quinze jours avant d'être enrôlé dans la Wehrmacht.
Je rentrai donc dans mes foyers, mais là non plus l'atmosphère
était au beau fixe pour le « welche » de la famille.
Je me rendis donc à Ulm pour mon habillement et pour le traditionnel
Serment au Drapeau dans le régiment N°25 de la « Flakersatzabteilung
» pour aboutir à Wismar, au bord de la mer Baltique : Là,
le pensum quotidien, formation militaire très sévère,
maniement du canon de vingt millimètres antiaérien, agrémenté
du « Drill » si propre à l'armée allemande.
L'école fut rude, mais néanmoins humaine puisque la justice
et l'égalité entre les soldats y régnaient. A la
fin du stage de formation, je me portai volontaire pour rapporter d’Alsace
vin et « Schnaps » pour la fête d'adieu avant le départ
au front russe !
Profitant de la situation je me portai une fois de plus malade avec
la complicité du médecin de famille ; quand je revins
à Wismar, mon unité était déjà partie
à l'Est !
Le quartier était vide. Seul dans la « Schreibstube »,
je retrouvais cet ancien juteux, le « Spiess », surnommé
par les Alsaciens « Bouboule ». C’était un
admirateur silencieux de la France, qui à présent, libéré
de toutes responsabilité, se mit à parler avec moi en
un français quelque peu haché et hésitant !
Le Spiess me procura un nouveau job, en attendant celui de croque-mort
au cimetière de la ville : C 'était inédit. Quartier
libre pendant quinze jours, une fois de plus la belle vie, et ce fut
à mon tour de prendre le train via « Ostfront »,
pour une escale à Zakopane en Pologne, dans la lutte contre les
partisans du coin, qui s'avéra d'ailleurs toute quiète,
et sans opération militaire. Puis, une nouvelle convocation pour
Brasov (Kronstadt) en Roumanie, dans une unité antiaérienne
de la Flak (D.C.A), comme soldat pourvoyeur d'un canon de 88mm. Campant
sous des tentes « Dreimannzelt » en pleine nature, j'ai
connu l'originalité des vols nocturnes du pilote solitaire que
les soldats appelaient communément l'U.V.D. ou le « Nacht-Yvan
». Cet avion survolait les lignes allemandes par nuit très
noire, calait subitement son moteur et déversait par-dessus bord
quelques chapelets de bombes bien inoffensives il faut bien le dire.
Mais bientôt ce furent les super-forteresses BOEING venues de
Grèce, de survoler Brasov en plein jour par escadrille de plus
de cinquante avions : Par deux fois, la petite ville fut bombardée,
mettant le feu aux installations pétrolifères et aux maisons.
Et les canons de 88 eurent beau aboyer, ainsi que les canons roumains
de 75, pas une seule fois un avion américain ne fut touché.
Le régiment lui-même ne subit que peu de pertes humaines
par ces attaques aériennes.
Et ce fut encore une fois le départ, l'ultime départ au
front russe, à Pzremisl, à la frontière roumano-russe,
dans une unité combattante antichar, contre les fameux T.34 russes.
J'y ai vécu là, trois semaines très mouvementées,
comme serveur au canon de 2cm, contre des raids des chasseurs MIG, contre
des incursions le plus souvent nocturnes de Tanks, alors que la ligne
du front se maintenait.
Mais une occasion unique allait soudain changer mon destin : en passant
au secrétariat, je relevais un avis concernant spécialement
les étudiants titulaires de l'Abitur (équivalent à
notre bac) : on faisait appel aux volontaires, pour s'engager dans l'école
de l'air (La Luftwaffe) comme élèves pilotes ! Bien sûr,
j'aurai éventuellement pu donner suite aux nombreux appels divulgués
par les haut-parleurs russes aux unités allemandes, enjoignant
aux soldats allemands de se rendre prisonniers, mais partout on se racontait
les atrocités russes commises sur les soldats ennemis capturés...
Non, le salut n'était pas à l'Est, mais en s'engageant
à la Luftwaffe. Un nouveau répit était donné,
en attendant la capitulation allemande après Stalingrad, Léningrad...
Convoqué à Krakau (Cracovie), en Pologne fin juin 1944
pour y subir les épreuves d'admissions pendant huit jours, je
passai cette fois avec brio tous les tests, avec la mention «
Wehrflieger = Tauglich » et la remarque « Nachtsehleistung
sehr gut » (ce qui veut dire : Apte pour être aviateur dans
l’armée de l’air avec la mention :« Très
bonne vision nocturne »).
Je fus engagé de regagner par mes propres moyens quinze jours
après la base aéronautique de Sanweiler au Luxembourg.
Là, un séjour merveilleux m'attendait durant deux mois
: L'essence faisant défaut, ce fut à bord des planeurs
d'initiation, les « S.G.83 », puis les appareils plus sophistiqués
à double commande, tels les « Adler », que je m'initiais
au vol par treuil, (sorte de lance-pierre à planeur) puis par
remorquage (un avion à moteur tirant le planeur pour le larguer
à la bonne altitude), jusqu'à la libération de
Paris en août 1944. Peu à peu, les vols ne purent s'effectuer
que très tôt le matin, suite aux incursions des «
lightlings » américains de plus en plus fréquents.
Et fin août, après quelques agressions à la bombe,
il fut décidé de détruire tous les appareils au
sol, et de rallier par n'importe quel moyen Mayence am Rhein ; Une camionnette
à feu de bois fut réquisitionnée et les cinq hommes
dont je faisais partie mirent douze jours à arriver au rendez-vous,
après une véritable partie de plaisir, à travers
les hauteurs de la Pfalz, à bord d'un véhicule à
bout de souffle, via Mayence.
Nouveau regroupement, nouveau départ en train à Crailsheim,
puis à la base d'Amberg, où ils connurent la joie des
vols à moteurs sur les Klemm 35, les Arados 96, sur les Fieseler
Storch, jusqu'au début du mois de novembre. Un matin d'automne
toute la « Flugschule » (l’école de l’air)
fut convoquée devant les quartiers : Un colonel leur tint un
discours très patriotique, dont l'essentiel était la pénurie
d'essence, l'impossibilité de continuer les vols, et ma foi,
la suppression de l'école, sauf pour ceux qui se vouaient à
la carrière d'officier et ceux qui étaient prêts
à suivre les cours de formation de « Rammjäger »,
autrement dit les pilotes d'avion suicides munis d'un parachute éjectable.
Une dizaine d'élèves sortirent en effet des rangs, et
le reste de la troupe fut scindé en deux parties par un officier
: une quarantaine de soldats forma un groupe devant être affecté
au front russe, et une trentaine, dont je fus informé qu'ils
allaient former une nouvelle unité, la « Luftwaffen Brigade
Oberrhein ».
Pour moi, le terme Oberrhein en français Haut-Rhin sonnait bien
agréablement à ses oreilles, je vous prie de croire !
Quels nouveaux horizons ouverts pour la fuite ! Et à Crailsheim
je vécus enfin, au soir du 22 novembre ma journée la plus
mémorable : c'est là que j'apprit comme hôte d'un
dentiste que j'avais connu à Hagnan, par la B.B.C. la libération
de Mulhouse par les forces alliées ! Me voici, à présent
pour la première fois depuis octobre 1940, tout à fait
libre, libre de toute obligation envers les miens, seul maître
et responsable du lendemain ; à moi la désertion, c'était
à présent très clair, je n'avais plus qu'à
attendre l'instant, le premier, cela allait de soi !
De Crailsheim, par camion, par train, à pied par la Forêt
Noire, souvent pris sous le feu des avions alliés, j'aboutis
avec ma brigade, dans le petit village de Burkheim, au bord du Rhin,
où nous prîmes quartier dans un fortin de la ligne Siegfried,
presque en face de Colmar. Devant nous, les ponts du Rhin, la ville
de Vieux-Brisach et autres objectifs furent l'objet des bombardements
alliés. Le quatre décembre 1944, ma fameuse Brigade traversa
le Rhin sur un pont de fortune à Neuf-Brisach, pour établir
nos pénates aux environs de Banzenheim, en pleine forêt
de la Hardt, où nous constituions une seconde ligne de front
: « die Auffangslinie ». Après l'avance des alliés
en novembre, puis leur repli vers Mulhouse, le front s'était
stabilisé de ce côté. La brigade effectuait des
tournées de garde jusqu'à ligne de front, le long de la
route de la « Grünhutte », et avait installé
une sorte de nid de mitrailleuse entre les deux rails du chemin de fer
Mulhouse-Chalampé et dans la prolongation de la voie ferrée
vers l'Ouest. Je voyais au loin poindre la flèche de l'église
Saint-Etienne de Mulhouse, non sans un pincement de cœur...
Par trois fois, j'essayais de gagner le front allié, mais sans
succès et je ne dut mon salut – embrigadé par des
soldats d'un régiment de Gebirgjäger – qu'avec l'excuse
de m'être fourvoyé par erreur et d'avoir perdu le contact
avec mon unité.
Il faut vous dire, à ce propos, que du jour où j'ai fait
partie des unités combattantes allemandes, j'ai pu camoufler
mon origine alsacienne en donnant l'adresse de mon domicile à
Hagnau am Bodensee. Parlant correctement l'allemand, personne ne m'avait
repéré comme sujet louche alsacien, donc équivoque...
Seul un soldat, Arno Bese, fils d'un postier de Braunschweig, un antinazi,
s'était lié d'amitié avec moi, et pour cause, nous
le verrons de suite ! ...suite plus loin